lundi 2 mars 2015

Interview Delphine Soyer, Danseuse malentendante

Danse inclusive ? Quezaco ? Une forme de danse mêlant danseurs valides et handicapés, spécificité de la compagnie Tatoo.  Lundi, 14h00, centre d'animation Oudiné, la pétillante Delphine Soyer, danseuse malentendante dirige avec énergie un stage alliant la danse et langue des signes. Rien ne laisse deviner son handicap. Et parmi la dizaine de participants, venue suivre ce stage, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes se côtoient. Tous sont venus s'enrichir, sur la langue des signes, sur leur pratique de la danse, pour leur mémoire universitaire, ou sont tout simplement venus chercher une nouvelle expérience.Tendances Sport a rencontré Delphine Soyer. Entretien.


"Danser m'a permis de m'accrocher à ma volonté, à mes rêves"


Pourquoi avoir mis en place ces stages de danse LSF ? Pouvez-vous nous en parler ? Quel est le public concerné ?
Il y a principalement un public entendant. J'aime qu'il y ait un public mixte. Finalement, je constate que les malentendants sont moins nombreux, il y a plusieurs facteurs, la communication, la disponibilité des personnes. Même auprès des instituts spécialisés, la démarche ne paIe pas forcément à chaque fois car il y a des contraintes de créneaux ou d'autres et parfois pas d’intérêt au niveau artistique de la part de ces structures.

Qu'est ce qu'ils permettent d'explorer ?
Ils permettent d'explorer la LSF en tant que vecteur artistique, de travailler avec le mouvement dansé en partant ou en allant vers le signe, de trouver une forme de voyage, une manière originale d’être dans le corporel. Il y a aussi le coté humain, j'ai un public hétéroclite. Et il y a ce coté poétique, car on raconte une histoire.

Quels sont les retours que vous avez sur ces stages ?
C'est toujours génial, ce sont des expériences humaines, ce sont des affinités, des gens parfois qui recherchent cette expérience. 
 

Quel a été votre parcours ? Pourquoi avoir choisi la danse ?
Je pense que c'est la danse qui est venue a moi, c'est une coïncidence. J'avais des soucis au niveau podologique (au niveau des pieds) et mon médecin avait proposé que je fasse une activité pieds nus. Je me suis inscrite à la G.R.S à 5 ans sans doute au moment où ma surdité a commencé à pointer son nez. Chaque année, je rajoutais une discipline, classique, initiation au Modern-Jazz donc je suis devenue passionnée très très vite. Je suis restée en milieu amateur pendant plusieurs années parce qu'à l'âge de 8 ans, l’Opéra de Paris a rejeté ma demande de candidature et c'est à ce moment là que j'ai été appareillée. Je suppose donc que c'est à cause de la surdité malgré les recommandations de ma professeur de danse classique de l'époque qui travaillait pour l’Opéra de Paris. Ça a été un rêve qui s'est effondré assez brutalement pour moi,  mais j'ai toujours gardé ça dans un coin de ma tête et j'ai continué à faire des galas et à participer à plein d’événements artistiques.

Sur le tard à l'âge de 30 ans, je suis tombée sur une annonce d'une association de sourds qui recherchait une danseuse sourde. J'ai postulé. A l'époque, je ne travaillais pas du tout dans la danse, et de fil en aiguille j'ai donné des cours pour les personnes sourdes et le petit grain de passion est revenu très très vite, parce que je suis passionnée de pédagogie et d'enseignement ! J'ai repris mon rêve d'enfant. J'ai tout abandonné pour passer mon diplôme d'état en 2002. Je suis passée professionnelle la même année. J'ai beaucoup travaillé pour me mettre à niveau et je suis rentrée chez TATOO, une compagnie de danse traditionnelle il y a 5 ans, en plus de l'enseignement.

Que vous a apporté la danse ?
Une respiration dans ma vie. Car quand on est malentendant(e), on a de la pression par apport au discours des gens que l'on comprend mal. Danser m'a apporté de l’oxygène, ça m'a permis de me renforcer, d'avoir plus confiance en moi parce que quand on est malentendant, on se sens honteux de parler. Les réactions et le regard des gens surtout des enfants peut être très dur à vivre. La danse c'est une compétition avec soi-même, il faut mobiliser son esprit, avoir de la maîtrise, du contrôle, ce que je n'avais pas dans ma vie à cause de mon handicap, car quand on est malentendant, on  ne contrôle pas le discours des gens, voir sa propre communication. Danser m'a permis de m'accrocher à ma volonté, à mes rêves, à faire quelque chose de ma vie, à devenir quelqu'un. Avant mon handicap était une souffrance, quelque chose de lourd à porter, aujourd’hui plus du tout, cela fait parti de moi. 
 
Justement vous avez rejoint la compagnie Tatoo en 2009, est-ce que vous pouvez-nous parler un peu de cette compagnie ?
Cette compagnie est très originale, ce n'est pas parce que j'en fait partie, mais simplement parce qu'on propose de mettre en danse, en mouvement des corps qui sont paralysés, soit partiellement soit complètement, des corps qui sont atrophiés, des corps qui n'ont pas toutes leurs capacités sensorielles. Ce sont donc des corps qui finalement ne sont pas en adéquation avec la pratique de la danse, car la danse c'est professionnellement parlant et du point de vue amateur c'est user de toutes ses capacités physiques et mentales, dans l'idée de se mettre en mouvement. Nous on part du postulat inverse quand le corps est diminué, quand il n'a pas toutes ses facultés, nous on va chercher à entrer dans le mouvement de cette manière là. Ce n'est donc pas une démarche ordinaire, c'est une démarche originale.

Qu'y apportez-vous ?
Pour ma part, je pense que TATOO m'a apporté plus que j'apporte. J'ai plus l'impression que ça m'a apporté parce que ça a nourri mon rêve, ma passion. C'était un rêve, c'est une réalité maintenant, je m’épanouis dans mon travail, celui que j'ai toujours voulu faire. Ça me nourrit parce que c'est un travail d'équipe, humain. Il y a un lien entre nous qui est très fort et on propose des choses par le biais de l'auto-dérision et ça c'est une deuxième originalité de la compagnie. Et tout ce travail, qu'on fait auprès des amateurs, montre qu'on n'a pas d'ambition propre nous à devenir quelque chose, on est là pour et dans le partage, pour les expériences entre tous avec tout ce qu'on n'est, tout ce qu'on n'e est pas aussi. C'est constamment du partage et des échanges et des nourritures des uns vers les autres. Tout apporte beaucoup et m'apporte beaucoup. Je suis ravie de faire partie de cette aventure et d'apporter mes compétences, mon regard et mon vécu de personne sourde. Ce n'est pas la langue des signes comme vecteur artistique, ça TATOO le faisait déjà avant que j'arrive, mais tout ce travail là d'expérimentation, de laboratoire de recherche, il est forcement intéressant, donc voilà c'est une belle aventure. 

Vous n'entendez pas ou peu la musique, comment arrivez-vous à créer un rythme, une chorégraphie ?
Je choisis des musiques plutôt percussives dont les basses, les temps sont marqués, je connais par cœur les musiques ou les temps à marquer. En danse, il faut mémoriser le tempo. La mémoire est vraiment capitale et dans ce stage, par exemple, j'ai exploré le lent et le rapide. Pour pouvoir être en accord avec la musique, je mets la basse et je pose mes mains dessus, et je tape le rythme (elle mime). Il faut apprendre à danser en comptant, surtout en danse-jazz. L'appui mémo-technique est important en danse. Aujourd'hui, comme j'ai cet appui, ce n'est plus une angoisse de travailler avec la musique. 
 
Pour vous comment le regard du public sur les personnes malentendantes et sourdes doit-il évoluer ?
Les gens devraient faire preuve de plus d'empathie. Mais le gros problème c'est la communication. Une personne sans communication meurt. Il faut accepter la surdité et ne pas penser qu'un appareil suffit. Un appareil ne suffit pas à rendre l'ouïe, la compréhension du message, il faut certaines conditions. Le pouvoir n'est pas dans l'appareillage. On ne peut pas réintégrer l’ouïe, c'est ça que les gens ont du mal à comprendre. Pour avoir de l'assurance, il faut apprendre à parler, apprendre tout le langage. Il faut aussi s'adapter et changer sa façon de parler quand on est face à un malentendant.


Pour en savoir plus : http://compagnietatoo.wix.com/danse 
L'actualité de la compagnie à suivre sur leur page facebook

Interview réalisée par Vanessa SAKSIK le 23 février 2015 - Copyright Philippe Moulu - Remerciements Delphine Soyer, Laurence Barki de la Compagnie Tatoo et Daniel Mendy Directeur du Centre Oudiné (Paris 13éme).

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