dimanche 8 mars 2015

Interview de Fabrice Chanut et Adda Abdelli de la série «Vestiaires»

De l'humour, un scénario inventif et un super jeu d'acteurs, tels sont les ingrédients du succès de la série «Vestiaires » qui cartonne sur le web et sur France 2 depuis 3 ans. Pour la saison 4, diffusée en décembre dernier avec comme guests Clémentine Célarié et Pascal Légitimus, le succès était de nouveau au rendez-vous. Tendances Sport a rencontré Fabrice Chanut et Adda Abdelli, créateurs, réalisateurs mais aussi acteurs de la série. Entretien


Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Adda Abdelli : Nous sommes nageurs au club handisport Marseille et c'est là que nous nous sommes rencontrés en 1998. Je venais d'avoir des enfants et il fallait que je fasse du sport, donc je me suis mis à la natation. On s'est rendu compte qu'on avait la même culture, le même humour, qu'on aimait les mêmes films, qu'on était assez complémentaires; et puis il y avait cette envie d'écrire un truc ensemble mais on ne savait pas quoi.

Fabrice Chanut : A l'époque, j'étais assistant réalisateur et je travaillais un court métrage et Adda, lui, faisait des one-man show sur Marseille. C'est en se retrouvant aux vestiaires, de fil en aiguille, qu'on s'est découvert cette passion commune pour le spectacle vivant. Et puis, on s'est dit « Bah tiens, si on se mettait à écrire des choses pour nous, pour rigoler ». Du coup, on s'est mis à écrire des petites scénettes, des sketchs qui tiennent sur deux, trois minutes.

                                            

Comment l'aventure a t'elle débuté ?

Adda Abdelli : On était parti sur un long-métrage puis sur une pièce de théâtre mais dans les deux cas c'était trop long. On s'est donc dit qu'on allait faire plus court et on a eu envie de rapporter ce qui se passait dans ces vestiaires. On s'est retrouvés avec 10 épisodes écrits, ça nous faisait rire mais on voulait l'avis d'autres personnes alors on l'a partagé avec nos copains par mail. On a été surpris des retours qui nous demandaient « Ah vous en avez d'autres, vous en avez d'autres ». Et on  ne s'attendait absolument pas à ça et on a continué jusqu'à avoir une quinzaine d'épisodes.

Fabrice Chanut : Il y a eu le festival d'Aubagne avec la possibilité pour de jeunes scénaristes de rencontrer des producteurs. Je présentais le court-métrage que je venais de finir et je rencontre des gens du festival qui me demandent si j'ai un autre projet. Je réponds que je n'ai pas grand chose à part un truc que j'ai écrit avec un pote et qui ne fait marrer que nous. On le dépose le lendemain et une semaine après, ils nous disent « Ça nous fait hurler de rire, vous allez rencontrer les producteurs » et c'est là qu'on a rencontré notre producteur, Philippe Braunstein et par rebond Sophie Deloche qui ont lancé l'aventure « Vestiaires ».

Pourquoi avoir choisi le thème du handicap ? Qu'est-ce qui vous a inspiré pour l'écriture de cette série ?

Fabrice Chanut : Comme on était nageurs au sein du club de natation handisport de Marseille, on parlait de nous. Les premiers épisodes, les personnages s’appelaient Adda et Fabrice. Par la suite, on nous a demandé de changer les personnages pour prendre un peu de recul. On ne faisait que raconter ce qu'on voyait. Le contexte du handisport, ce sont des personnes handicapées, qui vont au boulot comme tout le monde et qui le soir ont une activité sportive pour se défouler, continuer leur rééducation ou  tout simplement pour faire du sport. Ils arrivent après le travail et ils ont une vision du monde totalement décalée. A partir du moment où vous vous retrouvez avec un mec qui n'arrive pas à attraper avec la main droite, ce qu'il attrape avec la main gauche, ou que vous marchez avec vos béquilles et que vous tombez, il y a un déclic qui se passe, ça change votre vision. Et à partir du moment où nous personnes « handis », on donne un point de vue sur le monde, ça peut devenir très drôle. Donc on avait plein d'anecdotes puis on s'est mis à créer.


Adda Abdelli : Handicapés, on l'est, donc on avait tous les codes. On nageait dans un club handisport, et ce qui nous faisait rire, c'était le décalage entre le monde et comment dans ce vestiaire, le monde était perçu et il est vu sous le prisme du handicap. Et en fait, les sujets graves sont souvent les plus drôles quand c'est traité par la dérision. Et nous, c'est ce qu'on faisait tout le temps, alors on s'est dit pourquoi ne pas l'écrire. Quand à l'écriture, c'était facile parce que ça venait tout seul. Au début, on s'est inspiré de ce que l'on voyait et vivait, puis on l'a un peu scénarisé et on a rajouté des trucs à droite, à gauche.

Justement vous êtes acteurs et réalisateurs, pourquoi avoir choisi d’être des deux côtés de la caméra et qu'est-ce que ça vous apporte ? vous sentez-vous aussi à l’aise d'un côté comme de l'autre ? 
 
Adda Abdelli : D'abord, on n'a pas été pris comme ça. Ça a été un peu compliqué parce qu'on avait à faire à des producteurs. Et qui dit production, dit professionnels. Quand on a dit que lui voulait réaliser et moi jouer; ils nous ont dit « Réaliser, il ne l'a jamais fait donc ça va être un peu compliqué et toi tu passeras des castings ». Donc ils ont lancé un vrai casting pour trouver les comédiens de la série. J'ai eu le rôle mais c'était pas gagné. Par la suite, on a tourné quelques épisodes, et ce n'est que par la suite qu'il a pu réaliser. Qu'est-ce que ça nous apporte, c'est de l'écriture donc on est vraiment dans la peau de n'importe quel auteur. Moi, j'écris avec lui et je joue. En tant que comédien et auteur, moi j'arrive facilement et souvent grâce à lui à compartimenter les deux. D'ailleurs, quand on est en fin de session d'écriture, je ne m'occupe plus des épisodes. Et ça va si loin que je redécouvre les épisodes quand il faut les jouer.

Fabrice Chanut : Vu qu'on est deux et qu'on fait plein de trucs en parallèle, c'est vrai que ça complexifie la question. En réalisation, l'idée c'est d'aller au bout d'une idée. Par exemple, quand on a écrit certains épisodes avec Adda, l'idée c'était de voir Caro de telle manière ou que vraiment on voit la relation Orson/Romy sous tel angle. Donc on repart à la mise en scène, en disant « Est-ce que quand je vais filmer, il y aura bien cette idée là ? ». Le but, c'est de préserver au niveau du jeu des acteurs, du mixage, du montage, l'idée qu'on a eu sur la table quelques mois avant.


Pourquoi avoir choisi de caster des handicapés et des valides et comment ont-ils été recrutés ?

Fabrice Chanut : Ils ont été recrutés par annonce et par exemple, on fait un casting d'une personne qui aurait une agénésie de la main gauche ou de la droite, voir des deux, ce qui est déjà assez ubuesque. Le casting est lancé sur Paris, ça donne rien donc il est élargi au niveau national. Et l'anecdote la plus marquante, c'est celle d'Alexandre Filip, qui joue le rôle d'Orson dans la série et qui était sur Tours à l'époque. Il a répondu à l'annonce et il faut bien comprendre que quand on écrit les épisodes, nos personnages ne font pas que parler, automatiquement dans leurs remarques, ou dans leurs vannes on se joue de leur handicap. Et Orson s'inspirant de moi car il a une agénésie de la main droite et Romy s'appuyant sur Adda, il a une polio. Donc, il y a beaucoup de blagues sur les petits bras,  les bras de pingouin, etc...

Dans cette série il y a beaucoup d'humour et d'auto-dérision sur les handicapés par les handicapés eux-mêmes, pourquoi avoir choisi ce parti pris ?

Adda Abdelli : La compassion, ça a déjà été fait avec Jean-Luc Delarue, Dieu ait son âme. Le truc des héros aussi, il y a Philippe Croizon et pas mal qui battent des records, qui font l’Himalaya, tout ça. Nous, on est pas des héros, on est même des anti-héros. On est plutôt des mecs qui aiment pas trop bosser, on préfère rester à regarder la télé, s'occuper de nos gosses. Et du coup, il existe dans ce monde là des handicapés qui ont une vie quasi-normale. Et c'est ça qui nous intéressait, c’était de dire, c'est pas des héros et c'est pas non plus des gens à plaindre. Ils ont leur handicap et ils l'assument.

Fabrice Chanut : Pour reprendre, l'idée d'un grand penseur qui s'appelle Adda Abdelli, qui disait « l'humour c'est ce qui abat le plus les barrières entre les différences ». Du coup, arriver à discuter avec les valides, à aborder, leur exposer ce qu'est la vie d'une personne handicapée et du regard qu'elle a sur les valides et inversement, il n'y a que l'humour pour que ça passe.


Il y a des personnages forts avec tous un petit grain de folie, comment êtes-vous arrivés à créer cette magie, ce petit truc qui fait que ça marche ?

Adda Abdelli : On avait comme postulat de départ, la position de notre club, notre groupe. Dans le quotidien, dans les repas, les rencontres qu'on faisait, les gens étaient assez fans et aimaient beaucoup nos invités ou alors venir avec nous. Donc ce qui marchait bien, c'était l'effet groupe. Comment faire en sorte que les gens adhérent et s'attachent ? Il fallait qu'on puisse recréer ce groupe. Et c'est ce que la chaîne nous avait dit d'ailleurs « Continuez à nous donner envie de faire parti de votre groupe ». Et je crois que c'était notre plus grande réussite.

Fabrice Chanut : En termes d'écriture, tout simplement, ne serait-ce que pour se baser sur les personnages principaux qui sont Orson et Romy. Pour résumer ces personnages là, ils s'adorent mais dans le fait de s'adorer, il y a, on se vanne, je te taquine, je t'envoie bouler parce que si je suis ton meilleur ami, je peut tout te dire et inversement.

Dans les «Vestiaires libérés » (saison 3), vous avez fait plusieurs épisodes sur des personnages historiques ou de contes de fées classiques qu'est-ce qui vous a donné l'envie de choisir cette thématique ?

Fabrice Chanut : On est toujours dans un esprit de décalage et c'est un truc qui est assez récurrent chez nous. Là, c'était le temps. Et si l'histoire du monde était vue à travers les yeux des personnes handicapées. On a pris l'histoire de façon large parce qu'on introduit les héros, les contes de fées, etc... Mais l'idée, c'est ça, c'est si tout d'un coup, le personnage principal d'un fait historique était en fait une personne « handi », qu'est-ce qu'il se serait passé ? Par exemple, il y a cet épisode où la belle au bois dormant ne se réveille pas puisqu'elle a des trous de mémoire. Donc on a juste allumé la mèche c'est parti tout seul.

Adda Abdelli : On est partis de l'idée où on s'est demandé « Qu'est-ce qui s'est vraiment passé ? et est-ce que avant ce personnage, avant ce temps là, il n'y avait pas un handicapé  quelque part ? » D'où l'idée que le frère du roi Arthur, c'était lui qui aurait du hériter du trône, et comme il n'a pas de bras, il n'a pas pu enlever l'épée. Et c'est parti comme ça, dans la vie, dans l'histoire, les handicapés sont là depuis très longtemps en fait.

Vous faites aussi intervenir quelques guests célèbres handicapés ou non, pouvez-vous nous en dire plus ?

Adda Abdelli : J'ai eu la chance de rencontrer Pascal Legitimus à une soirée du CNC (Centre National du Cinéma) et c'est très émouvant car à l'époque c'était la première saison de  « Vestiaires ». Et je sais ce que je vais lui dire, c'est que j'adore ce qu'il fait. Et en fait, je vis un truc extraordinaire, intemporel, où tout s’arrête. Je lui tends la main et c'est lui qui me prends la main, en me disant « J'adore ce que vous faites ! » et j'éclate de rire, et je lui dit « Pascal, c'est moi qui allait vous dire ça, vous m'enlevez ma réplique ! ». Et il éclate de rire et me dit « J'adore Vestiaires ». Et en fait dans la soirée, sentant qu'on n'ose pas lui demander, il nous glisse « Si vous avez besoin d'un guest, il n'y a pas de problème ». Et ce qui est fou, c'est que le lendemain dans ma boite mail et mon Facebook, j'ai son numéro de téléphone et son mail. Et ça, c'est juste extraordinaire.

Fabrice Chanut : A la réalisation, il y a trois réalisateurs, Franck Lebon, Vincent Burgelat et moi-même. Il était sur un projet avec Clémentine et elle lui demande ce qu'il fait d'autre. Il lui dit qu'il réalise des épisodes pour la série « Vestiaires » . Et là, Clémentine lui dit qu'elle adore la série. Le lendemain, elle nous envoie un message vidéo en nous disant que ce que l'on fait est génial. Et justement à ce moment là, France Télévisons et de la production voulaient qu'on fasse entrer un personnage excentrique. En fait, à chaque fois qu'un guest entre dans les « Vestiaires », il doit bousculer les personnages. Et à cette époque, on tricotait sur une espèce de star qui viendrait faire quelque chose, elle n'a rien à faire là mais elle vient s'imposer. Quand on a reçu la vidéo, c’était évident que c'était elle.
 
Quels retours avez-vous eu sur cette série de la part du public ? Pensez-vous que le regard sur les handicapés a changé avec votre série ?

Fabrice Chanut : Juste une anecdote, hier soir, on dînait avec une amie. Elle était assistante sur le projet et elle nous a dit quelque chose qui m'a percuté et touché. Elle nous a dit que son regard sur les personnes « handi » avait changé lors du tournage, parce que quand vous vous mettez à tourner sur « Vestiaires»; vous avez quand même cinq gars qui se mettent en maillot de bain, handicap apparent devant 15 techniciens. Elle faisait partie de ses techniciens. Et elle m'a dit « Ça a même changé le regard sur moi et les gens en général, de comment on se positionne les uns par apport au autres ». Et ça résume les retours que j'ai eu des gens qui aiment le fait qu'on le prenne avec dérision. Ce n'est pas une série sur le handicap, c'est une série comique.

 Adda Abdelli : Quand on est handicapé, la première barrière qu'on a, c'est de se mettre à nu physiquement et s'exposer. Alors quand on reçoit un nombre incalculable de personnes handicapées qui veulent faire figurants dans la série, qui assument cette idée de se mettre en maillot, ce n'est pas rien. Donc oui, le retour est assez extraordinaire des deux cotés et surtout des parents d'enfants handicapés, qui nous disent que ça dédramatise la relation avec leurs enfants, et que surtout chez leurs enfants, il y a un sourire, un truc en plus. Ça leur fait du bien et par ricochet à nous aussi.


Aujourd'hui quel regard portez-vous sur l'aventure «Vestiaires » depuis ses débuts ? Vous avez reçu certaines récompenses, pouvez -vous nous en dire plus ?

Fabrice Chanut : La première chose, c'est que « Vestiaires » n'est pas une série qui a pour prétention d’être reconduite automatiquement. La première saison, quand France 2 nous a envoyé un message en nous disant de commencer à travailler sur une saison 2, c’était juste la fête. Et ça a été la même chose pour les autres saisons. Rien que ça c'est juste incroyable ! Ensuite, il y a effectivement ce prix du scénario du film français, c'est la reconnaissance absolue. On y est allés en espérant rien, en étant juste heureux, car pour nous être là c'était déjà une victoire. Et le jour où on a été à la cérémonie, il y avait Gad Elmaleh, Kad Merad, on a même rencontré Costa Gavras, c'était un truc improbable. Francois Cluzet qui a cassé la baraque avec « Intouchables » est venu nous serrer la main.

« Quand ils ont annoncé Vestiaires  pour le prix de la meilleure série courte 2012, on a eu l'impression que le temps s’était arrêté. On était fous de joie, c'était extraordinaire. Et puis chaque fois, il y a un nouveau truc. La saison 2 et la saison 3 ont été basculés à 20H00. Et puis pour la saison 4, France 2 nous dit on la bascule à 20H40, le prime c'est juste magique, le saint-graal, le sacre quoi ! ». C'est incroyable, on bascule sur un créneau avec 4.2 millions de spectateurs. Nous, on vit ça comme un enfant qui est dans une salle de jeux, qui à chaque fois reçoit un nouveau jouet, il se dit « ah c'est génial », il est magnifique ce jouet, je vais sortir et puis on lui dit « non attends, il y a encore un jouet ». Et à chaque fois, on est émerveillés. On est invités à des festivals. Au festival du film de la Rochelle, par exemple, chaque série a une table avec les comédiens, les auteurs. On s'est dit que personne ne nous connaissait et en fait on avait la queue devant notre stand, ils voulaient des signatures, prendre des photos. Et là, tu te dis « Ah oui quand même ! c'est ça, quatre millions de personnes qui te regardent ». Et là, on revient du festival de Luchon, c'était extraordinaire.


Quels sont vos projets pour la série partez-vous sur une nouvelle saison ?

Fabrice Chanut : La saison 5 est en pleine écriture. L'idée, c'est d'arriver à sortir un certain nombre d'épisodes et d'en discuter avec la production. Là, on commence à prendre un peu de vitesse parce que la série s'est finie en production fin novembre, début décembre. On est déjà à enchaîner des épisodes, ça n'a pas été si évident que ça. Moi, il y a un moment où tout ce qui était handisport, handicapés, je ne savais plus ce qui était drôle ou pas. On est revenus dans le dur. On est repartis là, on est presque à 10 épisodes validés pour la saison 5, ce n'est pas beaucoup mais c'est un bon début. On travaille aussi sur un éventuel synopsis pour un téléfilm, mais pour l'instant on ne peut pas vous en dire plus. On vous en dira plus au prochain numéro.

Interview réalisée par Vanessa Saksik - Remerciement Adda Abdelli, Fabrice Chanut, Julien Guillo et Philippe Braunstein

Pour découvrir ou redécouvrir d'autres épisodes, rendez-vous sur la chaine You Tube et France 2 et pour ne rien louper de l'actualité de la série rendez-vous sur Facebook et Twitter
 
 Malakoff Mederic, impliqué depuis toujours dans la question du handicap, soutient Vestiaires en finançant la webfiction Vestiaires Libérés et le site internet de la série

lundi 2 mars 2015

Interview Delphine Soyer, Danseuse malentendante

Danse inclusive ? Quezaco ? Une forme de danse mêlant danseurs valides et handicapés, spécificité de la compagnie Tatoo.  Lundi, 14h00, centre d'animation Oudiné, la pétillante Delphine Soyer, danseuse malentendante dirige avec énergie un stage alliant la danse et langue des signes. Rien ne laisse deviner son handicap. Et parmi la dizaine de participants, venue suivre ce stage, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes se côtoient. Tous sont venus s'enrichir, sur la langue des signes, sur leur pratique de la danse, pour leur mémoire universitaire, ou sont tout simplement venus chercher une nouvelle expérience.Tendances Sport a rencontré Delphine Soyer. Entretien.


"Danser m'a permis de m'accrocher à ma volonté, à mes rêves"


Pourquoi avoir mis en place ces stages de danse LSF ? Pouvez-vous nous en parler ? Quel est le public concerné ?
Il y a principalement un public entendant. J'aime qu'il y ait un public mixte. Finalement, je constate que les malentendants sont moins nombreux, il y a plusieurs facteurs, la communication, la disponibilité des personnes. Même auprès des instituts spécialisés, la démarche ne paIe pas forcément à chaque fois car il y a des contraintes de créneaux ou d'autres et parfois pas d’intérêt au niveau artistique de la part de ces structures.

Qu'est ce qu'ils permettent d'explorer ?
Ils permettent d'explorer la LSF en tant que vecteur artistique, de travailler avec le mouvement dansé en partant ou en allant vers le signe, de trouver une forme de voyage, une manière originale d’être dans le corporel. Il y a aussi le coté humain, j'ai un public hétéroclite. Et il y a ce coté poétique, car on raconte une histoire.

Quels sont les retours que vous avez sur ces stages ?
C'est toujours génial, ce sont des expériences humaines, ce sont des affinités, des gens parfois qui recherchent cette expérience. 
 

Quel a été votre parcours ? Pourquoi avoir choisi la danse ?
Je pense que c'est la danse qui est venue a moi, c'est une coïncidence. J'avais des soucis au niveau podologique (au niveau des pieds) et mon médecin avait proposé que je fasse une activité pieds nus. Je me suis inscrite à la G.R.S à 5 ans sans doute au moment où ma surdité a commencé à pointer son nez. Chaque année, je rajoutais une discipline, classique, initiation au Modern-Jazz donc je suis devenue passionnée très très vite. Je suis restée en milieu amateur pendant plusieurs années parce qu'à l'âge de 8 ans, l’Opéra de Paris a rejeté ma demande de candidature et c'est à ce moment là que j'ai été appareillée. Je suppose donc que c'est à cause de la surdité malgré les recommandations de ma professeur de danse classique de l'époque qui travaillait pour l’Opéra de Paris. Ça a été un rêve qui s'est effondré assez brutalement pour moi,  mais j'ai toujours gardé ça dans un coin de ma tête et j'ai continué à faire des galas et à participer à plein d’événements artistiques.

Sur le tard à l'âge de 30 ans, je suis tombée sur une annonce d'une association de sourds qui recherchait une danseuse sourde. J'ai postulé. A l'époque, je ne travaillais pas du tout dans la danse, et de fil en aiguille j'ai donné des cours pour les personnes sourdes et le petit grain de passion est revenu très très vite, parce que je suis passionnée de pédagogie et d'enseignement ! J'ai repris mon rêve d'enfant. J'ai tout abandonné pour passer mon diplôme d'état en 2002. Je suis passée professionnelle la même année. J'ai beaucoup travaillé pour me mettre à niveau et je suis rentrée chez TATOO, une compagnie de danse traditionnelle il y a 5 ans, en plus de l'enseignement.

Que vous a apporté la danse ?
Une respiration dans ma vie. Car quand on est malentendant(e), on a de la pression par apport au discours des gens que l'on comprend mal. Danser m'a apporté de l’oxygène, ça m'a permis de me renforcer, d'avoir plus confiance en moi parce que quand on est malentendant, on se sens honteux de parler. Les réactions et le regard des gens surtout des enfants peut être très dur à vivre. La danse c'est une compétition avec soi-même, il faut mobiliser son esprit, avoir de la maîtrise, du contrôle, ce que je n'avais pas dans ma vie à cause de mon handicap, car quand on est malentendant, on  ne contrôle pas le discours des gens, voir sa propre communication. Danser m'a permis de m'accrocher à ma volonté, à mes rêves, à faire quelque chose de ma vie, à devenir quelqu'un. Avant mon handicap était une souffrance, quelque chose de lourd à porter, aujourd’hui plus du tout, cela fait parti de moi. 
 
Justement vous avez rejoint la compagnie Tatoo en 2009, est-ce que vous pouvez-nous parler un peu de cette compagnie ?
Cette compagnie est très originale, ce n'est pas parce que j'en fait partie, mais simplement parce qu'on propose de mettre en danse, en mouvement des corps qui sont paralysés, soit partiellement soit complètement, des corps qui sont atrophiés, des corps qui n'ont pas toutes leurs capacités sensorielles. Ce sont donc des corps qui finalement ne sont pas en adéquation avec la pratique de la danse, car la danse c'est professionnellement parlant et du point de vue amateur c'est user de toutes ses capacités physiques et mentales, dans l'idée de se mettre en mouvement. Nous on part du postulat inverse quand le corps est diminué, quand il n'a pas toutes ses facultés, nous on va chercher à entrer dans le mouvement de cette manière là. Ce n'est donc pas une démarche ordinaire, c'est une démarche originale.

Qu'y apportez-vous ?
Pour ma part, je pense que TATOO m'a apporté plus que j'apporte. J'ai plus l'impression que ça m'a apporté parce que ça a nourri mon rêve, ma passion. C'était un rêve, c'est une réalité maintenant, je m’épanouis dans mon travail, celui que j'ai toujours voulu faire. Ça me nourrit parce que c'est un travail d'équipe, humain. Il y a un lien entre nous qui est très fort et on propose des choses par le biais de l'auto-dérision et ça c'est une deuxième originalité de la compagnie. Et tout ce travail, qu'on fait auprès des amateurs, montre qu'on n'a pas d'ambition propre nous à devenir quelque chose, on est là pour et dans le partage, pour les expériences entre tous avec tout ce qu'on n'est, tout ce qu'on n'e est pas aussi. C'est constamment du partage et des échanges et des nourritures des uns vers les autres. Tout apporte beaucoup et m'apporte beaucoup. Je suis ravie de faire partie de cette aventure et d'apporter mes compétences, mon regard et mon vécu de personne sourde. Ce n'est pas la langue des signes comme vecteur artistique, ça TATOO le faisait déjà avant que j'arrive, mais tout ce travail là d'expérimentation, de laboratoire de recherche, il est forcement intéressant, donc voilà c'est une belle aventure. 

Vous n'entendez pas ou peu la musique, comment arrivez-vous à créer un rythme, une chorégraphie ?
Je choisis des musiques plutôt percussives dont les basses, les temps sont marqués, je connais par cœur les musiques ou les temps à marquer. En danse, il faut mémoriser le tempo. La mémoire est vraiment capitale et dans ce stage, par exemple, j'ai exploré le lent et le rapide. Pour pouvoir être en accord avec la musique, je mets la basse et je pose mes mains dessus, et je tape le rythme (elle mime). Il faut apprendre à danser en comptant, surtout en danse-jazz. L'appui mémo-technique est important en danse. Aujourd'hui, comme j'ai cet appui, ce n'est plus une angoisse de travailler avec la musique. 
 
Pour vous comment le regard du public sur les personnes malentendantes et sourdes doit-il évoluer ?
Les gens devraient faire preuve de plus d'empathie. Mais le gros problème c'est la communication. Une personne sans communication meurt. Il faut accepter la surdité et ne pas penser qu'un appareil suffit. Un appareil ne suffit pas à rendre l'ouïe, la compréhension du message, il faut certaines conditions. Le pouvoir n'est pas dans l'appareillage. On ne peut pas réintégrer l’ouïe, c'est ça que les gens ont du mal à comprendre. Pour avoir de l'assurance, il faut apprendre à parler, apprendre tout le langage. Il faut aussi s'adapter et changer sa façon de parler quand on est face à un malentendant.


Pour en savoir plus : http://compagnietatoo.wix.com/danse 
L'actualité de la compagnie à suivre sur leur page facebook

Interview réalisée par Vanessa SAKSIK le 23 février 2015 - Copyright Philippe Moulu - Remerciements Delphine Soyer, Laurence Barki de la Compagnie Tatoo et Daniel Mendy Directeur du Centre Oudiné (Paris 13éme).