vendredi 15 janvier 2016

INTERVIEW JACQUES SEGUELA

Publicitaire de renom et Vice-Président d’Havas, l’homme aux 1500 campagnes publicitaires, livre son regard sur le sport et la publicité. Rencontre avec un amoureux de sport et un passionné de rugby.    

« Un champion, c'est plus qu'une victoire, plus qu'un sport, c’est un symbole qui touche tout le monde »

C'est quoi une bonne publicité ?
L'argent n'a pas d'idée, seules les idées font de l'argent, c'est le slogan que j'ai essayé de mettre en application toute ma vie, avec un problème, c'est qu'on croit que la publicité c'est d'avoir des idées pas du tout, la publicité c'est d'avoir une idée, l'idée qui vend. !!! Ce qui fait la différence entre une bonne et une mauvaise agence, entre un bon créatif et un mauvais créatif, c'est qu'il a l'instinct de la bonne idée.J'ai été directeur de création toute ma vie, j'ai participé de près ou de loin à 1500 campagnes. Le petit talent que j'ai, c'est de voir la bonne idée, de sentir à l'intérieur de moi comme un fourmillement qui me fait dire que c'est cette publicité-là que le public va aimer. C'est comme un parolier qui sait trouver les paroles qui touchent les gens, c'est un peu mystérieux, ça ne s'apprend pas. Des campagnes, j'en ai raté beaucoup, plus tu en fait, plus tu en rates. Je sais aussi d'instinct où il ne faut pas aller. J'ai une sorte de cœur d'enfant qui vibre généralement à bon escient mais je suis comme tout le monde, je me trompe. J'essaye simplement de me tromper un peu moins que les autres. La publicité doit penser à la poésie, au rêve, à la magie mais avec une seule directive « créer c'est vendre ». 

Quel est pour vous la ou les campagnes publicitaires autour du sport qui ont réussi à massivement séduire leur public ?
Ma pub préférée c'est celle de Lacoste « Life is a beautiful sport » avec cette histoire d’amour entre un garçon et une fille. C'est une pub de B.E.T.C mais ce n'est pas parce que c'est notre agence que je dis ça, c’est juste parce je la trouve belle. Dans l'univers du sport, c'est NIKE. Ils ont perdu la main depuis mais pendant 10 ans, quand les pubs étaient faites en Hollande par les grandes agences du moment puis par les grandes agences américaines créatives, ils éblouissaient !!!  Et maintenant on les voit moins, surtout depuis l'affaire des ballons[1]qui a freiné un peu leur élan créatif. Ils n'ont plus osé tellement sauter par-dessus les frontières, les idées reçues, les mœurs. On a l'impression qu'ils se sont refermés sur leur coquille. Ils n'ont plus la côte qu'ils avaient.

Dans le sport comme dans les autres domaines, la communication est devenue virale, qu'est-ce qui fait le buzz pour une campagne de pub ?
Le buzz, c'est la première et la dernière publicité. Avec le digital, tout se termine en E-commerce. Le moteur de tout ça doit rester la télévision qui est la seule qui crée une âme de marque !  Donc le Net est le premier moteur de diffusion d'un message, à condition qu'il ait été conçu selon les règles de l'écran de télévision, c'est à dire en racontant une histoire dans un temps très court et qui défend une valeur. Le Net très souvent est infantile, fait des galipettes, crée le scandale mais il n'a pas toujours la vraie vertu de la publicité qui est de porter une valeur forte qui s'imprime en vous en 30 ou 40 secondes.

 « La publicité c'est d'avoir une idée, l'idée qui vend »

Un moment de sport qui vous a marqué ces dernières années ?
J'ai adoré la carrière de Wilkinson parce que ce n'est pas simplement un immense champion, c'est un gentleman jusqu’à son dernier match, jusqu'à sa dernière transformation,sa dernière pénalité. C'est un seigneur et il porte l’une des plus belles valeurs qui soit « la rigueur imaginative ». Il a énormément de rigueur mais il y a quand même dans sa gestuelle, dans son talent, une sorte de poésie, d’imagination qui vous transporte.J'aime les sportifs des sports que j'aime et en particulier la boxe. Je trouve que le plus grand boxeur de tous les temps, c'est Mohamed Ali, lui aussi dans sa gestuelle, dans ses matchs, c'est de la poésie à l'état pur ! Et puis quelle vie, quand on pense qu’il a failli briser sa carrière car il n'a pas voulu aller faire la guerre par conviction ! Pendant 5 ans, il a été mis à l'écart des matchs et après il est revenu. Depuis qu'il a quitté les planches, c'est devenu l'image de l’Amérique. Il est exemplaire dans sa vie ! Il est devenu l’icône alors que la boxe a une image très dure, une image de voyou ! La boxe, c'est du sang.  Lui, il était l’icône de la paix, de la fraternité, de la morale, de l'éthique dans le sport le plus corrompu de tous. Je trouve qu'il a transcendé son sport au niveau mondial. Et puis quelle beauté.J'ai une peinture de lui à la maison et je le regarde tous les matins avant de partir. Il te porte !


Pour vous c'est quoi un champion ?
Un champion, c'est plus qu'une victoire, plus qu'un sport, c’est un symbole qui touche tout le monde.  Bill Gates par exemple c'est un symbole mais il y a de l'argent derrière et ça te touche moins. Le sport, tu peux le pratiquer, tout le monde peut se voir un jour champion. Le sport c’est le dépassement de soi.

« Il faut que l'euro 2016 trouve son concept »

Votre regard sur le sport d'aujourd’hui ?
Si le sport a tellement progressé ces dernières années dans le mental des gens, c'est parce que c'est une usine à émotions. Or le 20éme siècle était le siècle de la raison, celui de Descartes, où tout devait être normé, classique et puis 1968 a fait exploser la « Machine France », on est partis dans l'émotion.Le sport, c’est universel, il n’y a pas besoin de traduction pour voir l'exploit et puis c'est l'un des derniers spectacles avec la chanson qui se passe dans des arènes exceptionnelles.Le siècle dernier était un siècle d’ego, aujourd'hui la grande révolution, c’est le partage. Le sport mène à ça car les plus beaux sports sont les sports collectifs, les jeunes sont en train d'inventer cette société collaborative qui va peu à peu tuer le capitalisme du 20eme siècle qui est à bout de souffle. La société applique les règles et les valeurs du sport mais l'argent corrompt le sport et les sportifs devraient descendre dans la rue et dire il y en a marre pourquoi vous nous taper dessus, les milliards de la FIFA, c'est pas nous.

Le sport qui vous fait le plus vibrer ?
Le rugby car c’est le sport qui met le plus en avant les valeurs du sport, les valeurs collectives. Le football est un sport qui se joue avec les pieds, de de temps en temps avec la tête, toujours avec l'extérieur de la tête, c'est un jeu qui est très technique et qui est très extérieur. Au rugby, tu prends le ballon sur ton cœur et tu plonges entre les deux poteaux, c'est un sport qui est plus physique que le foot mais qui garde ses valeurs de l'homme qui aime le ballon, c'est son bébé et quand il marque un but jusqu'à la dernière minute il est enceint de ce ballon. Au rugby, comme dans les autres sports, il y a le dépassement de soi mais il a ce que n'ont pas les autres sports : la troisième mi-temps, on s'est tabassés mais on va boire la bière de la fin de match ensemble.  Ça se perd hélas. Ils ne peuvent pas faire une troisième mi-temps à chaque fois qu'ils font un match mais ça reste pour moi ce que peut être le sport, on se donne à fond pour gagner mais quand on a gagné on partage sa victoire car la vraie valeur d'aujourd'hui c'est le partage, on partage sa passion, la défaite, le ballon.

« La vieillesse commence lorsque les regrets l'emportent sur les rêves »

Fans, passion, Brands est le slogan Havas Sport Entertainement, justement comment une marque peut-elle se démarquer ? En particulier dans l’univers du sport ?
En communication, il faut jouer sur les valeurs du sport, et s’il y a tellement de sponsors qui s'intéressent au sport, c'est parce qu'ils véhiculent ces valeurs collectives.La pub doit être très poétique dans sa conception mais très réaliste dans sa finalité. Elle ne doit pas avoir de complexe, ni de supériorité de se dire je fais de la création, je ne fais pas de la pub, je suis un commerçant; ni d'infériorité, je suis un créatif, je n'ai pas besoin de vendre, j'ai simplement besoin de créer. La pub, c'est un métier qui oblige à l'humilité et à la simplicité. Le problème du sport, c'est que le sport lui-même est passion et émotion, qu'est-ce qui fait plus rêver qu'un beau match ? Qu'un bel essai de rugby ? Qu’une dernière volée au tennis ?


Plus que jamais, vous prônez l'optimisme, quel message aimeriez-vous faire passer ?
C'est le dernier mot de mon livre « La vieillesse commence lorsque les regrets l'emportent sur les rêves » et on peut commencer à avoir des regrets dès l’âge de raison, c’est-à-dire dès l’âge de 7 ans. Il ne faut jamais avoir de regrets. Il faut toujours cultiver ses rêves, toujours aller plus loin, il y a énormément de gens qui se font bloquer par leurs regrets. D'ailleurs, les drames d'amour naissent du regret. Quand on perd un amour, il faut en trouver un autre. Il faut toujours recommencer tous les matins, être là et marquer le but.


Par Vanessa Saksik


[1]L'affaire des ballons NIKE fabriqués en Chine par des enfants avait créé le scandale