Danse inclusive ? Quezaco ? Une forme
de danse mêlant danseurs valides et handicapés, spécificité de la compagnie Tatoo. Lundi, 14h00, centre d'animation Oudiné, la pétillante Delphine Soyer, danseuse malentendante dirige avec énergie un stage alliant la
danse et langue des signes. Rien ne laisse deviner son handicap. Et parmi la dizaine de participants, venue
suivre ce stage, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes se
côtoient. Tous sont venus s'enrichir, sur la langue des signes, sur leur pratique de la
danse, pour leur mémoire
universitaire, ou sont tout simplement venus chercher une nouvelle
expérience.Tendances Sport a rencontré Delphine Soyer. Entretien.
"Danser m'a
permis de m'accrocher à ma volonté, à mes rêves"
Pourquoi avoir mis en
place ces stages de danse LSF ? Pouvez-vous nous en parler ?
Quel est le public concerné ?
Il y
a principalement un public entendant. J'aime qu'il y ait un public
mixte. Finalement, je constate que les malentendants sont moins
nombreux, il y a plusieurs facteurs, la communication, la
disponibilité des personnes. Même auprès des instituts spécialisés, la démarche ne paIe pas forcément à chaque fois car il y
a des contraintes de créneaux ou d'autres et parfois pas d’intérêt
au niveau artistique de la part de ces structures.
Qu'est ce qu'ils
permettent d'explorer ?
Ils permettent
d'explorer la LSF en tant que vecteur artistique, de travailler avec
le mouvement dansé en partant ou en allant vers le signe, de trouver
une forme de voyage, une manière originale d’être dans le
corporel. Il y a aussi le coté humain, j'ai un public hétéroclite.
Et il y a ce coté poétique, car on raconte une histoire.
Quels sont les retours
que vous avez sur ces stages ?
C'est
toujours génial, ce sont des expériences humaines, ce sont des
affinités, des gens parfois qui recherchent cette expérience.
Quel a été votre
parcours ? Pourquoi avoir choisi la danse ?
Je
pense que c'est la danse qui est venue a moi, c'est une coïncidence.
J'avais des soucis au niveau podologique (au niveau des pieds) et
mon médecin avait proposé que je fasse une activité pieds nus. Je
me suis inscrite à la G.R.S à 5 ans sans doute au moment où ma
surdité a commencé à pointer son nez. Chaque année, je rajoutais
une discipline, classique, initiation au Modern-Jazz donc je suis
devenue passionnée très très vite. Je suis restée en milieu
amateur pendant plusieurs années parce qu'à l'âge de 8 ans,
l’Opéra de Paris a rejeté ma demande de candidature et c'est à
ce moment là que j'ai été appareillée. Je suppose donc que c'est
à cause de la surdité malgré les recommandations de ma professeur de
danse classique de l'époque qui travaillait pour l’Opéra de
Paris. Ça a été un rêve qui s'est effondré assez brutalement
pour moi, mais j'ai toujours gardé ça dans un coin de ma tête et
j'ai continué à faire des galas et à participer à plein
d’événements artistiques.
Sur le tard à l'âge de 30 ans, je suis tombée sur une annonce d'une association de sourds qui recherchait une danseuse sourde. J'ai postulé. A l'époque, je ne travaillais pas du tout dans la danse, et de fil en aiguille j'ai donné des cours pour les personnes sourdes et le petit grain de passion est revenu très très vite, parce que je suis passionnée de pédagogie et d'enseignement ! J'ai repris mon rêve d'enfant. J'ai tout abandonné pour passer mon diplôme d'état en 2002. Je suis passée professionnelle la même année. J'ai beaucoup travaillé pour me mettre à niveau et je suis rentrée chez TATOO, une compagnie de danse traditionnelle il y a 5 ans, en plus de l'enseignement.
Que vous a apporté la
danse ?
Une
respiration dans ma vie. Car quand on est malentendant(e), on a de la
pression par apport au discours des gens que l'on comprend mal.
Danser m'a apporté de l’oxygène, ça m'a permis de me renforcer,
d'avoir plus confiance en moi parce que quand on est malentendant, on
se sens honteux de parler. Les réactions et le regard des gens
surtout des enfants peut être très
dur à vivre. La danse c'est une compétition avec soi-même, il faut
mobiliser son esprit, avoir de la maîtrise, du contrôle, ce que je
n'avais pas dans ma vie à cause de mon handicap, car quand on est
malentendant, on ne contrôle pas le discours des gens, voir sa propre
communication. Danser m'a permis de m'accrocher à ma volonté, à
mes rêves, à faire quelque chose de ma vie, à devenir quelqu'un.
Avant mon handicap était une souffrance, quelque chose de lourd à
porter, aujourd’hui plus du tout, cela fait parti de moi.
Justement vous avez
rejoint la compagnie Tatoo en 2009, est-ce que vous pouvez-nous
parler un peu de cette compagnie ?
Cette
compagnie est très originale, ce n'est pas parce que j'en fait partie,
mais simplement parce qu'on propose de mettre en danse, en mouvement
des corps qui sont paralysés, soit partiellement soit complètement,
des corps qui sont atrophiés, des corps qui n'ont pas toutes leurs
capacités sensorielles. Ce sont donc des corps qui finalement ne
sont pas en adéquation avec la pratique de la danse, car la danse
c'est professionnellement parlant et du point de vue amateur c'est
user de toutes ses capacités physiques et mentales, dans l'idée de
se mettre en mouvement. Nous on part du postulat inverse quand le
corps est diminué, quand il n'a pas toutes ses facultés, nous on va
chercher à entrer dans le mouvement de cette manière là. Ce n'est
donc pas une démarche ordinaire, c'est une démarche originale.
Qu'y apportez-vous ?
Pour
ma part, je pense que TATOO m'a apporté plus que j'apporte. J'ai
plus l'impression que ça m'a apporté parce que ça a nourri mon
rêve, ma passion. C'était un rêve, c'est une réalité
maintenant, je m’épanouis dans mon travail, celui que j'ai
toujours voulu faire. Ça me nourrit parce que c'est un travail
d'équipe, humain. Il y a un lien entre nous qui est très fort et on
propose des choses par le biais de l'auto-dérision et ça c'est une
deuxième originalité de la compagnie. Et tout ce travail, qu'on fait
auprès des amateurs, montre qu'on n'a pas d'ambition propre nous à
devenir quelque chose, on est là pour et dans le partage, pour les
expériences entre tous avec tout ce qu'on n'est, tout ce qu'on n'e est
pas aussi. C'est constamment du partage et des échanges et des
nourritures des uns vers les autres. Tout apporte beaucoup et
m'apporte beaucoup. Je suis ravie de faire partie de cette aventure
et d'apporter mes compétences, mon regard et mon vécu de personne
sourde. Ce n'est pas la langue des signes comme vecteur artistique, ça
TATOO le faisait déjà avant que j'arrive, mais tout ce travail là
d'expérimentation, de laboratoire de recherche, il est forcement
intéressant, donc voilà c'est une belle aventure.
Vous n'entendez pas ou peu la musique, comment arrivez-vous à créer un rythme, une chorégraphie ?
Je
choisis des musiques plutôt percussives dont les basses, les temps
sont marqués, je connais par cœur les musiques ou les temps à
marquer. En danse, il faut mémoriser le tempo. La mémoire est
vraiment capitale et dans ce stage, par exemple, j'ai exploré le
lent et le rapide. Pour pouvoir être en accord avec la musique, je
mets la basse et je pose mes mains dessus, et je tape le rythme (elle
mime). Il faut apprendre à danser en comptant, surtout en danse-jazz.
L'appui mémo-technique est important en danse. Aujourd'hui, comme
j'ai cet appui, ce n'est plus une angoisse de travailler avec la
musique.
Pour vous comment le
regard du public sur les personnes malentendantes et sourdes doit-il
évoluer ?
Les
gens devraient faire preuve de plus d'empathie. Mais le gros problème
c'est la communication. Une personne sans communication meurt. Il
faut accepter la surdité et ne pas penser qu'un appareil suffit. Un
appareil ne suffit pas à rendre l'ouïe, la compréhension du
message, il faut certaines conditions. Le pouvoir n'est pas dans
l'appareillage. On ne peut pas réintégrer l’ouïe, c'est ça que
les gens ont du mal à comprendre. Pour avoir de l'assurance, il faut
apprendre à parler, apprendre tout le langage. Il faut aussi
s'adapter et changer sa façon de parler quand on est face à un
malentendant.
Pour en savoir plus : http://compagnietatoo.wix.com/danse
L'actualité de la compagnie à suivre sur leur page facebook
Interview réalisée par Vanessa SAKSIK le 23 février 2015 - Copyright Philippe Moulu - Remerciements Delphine Soyer, Laurence Barki de la Compagnie Tatoo et Daniel Mendy Directeur du Centre Oudiné (Paris 13éme).
Pour en savoir plus : http://compagnietatoo.wix.com/danse
L'actualité de la compagnie à suivre sur leur page facebook
Interview réalisée par Vanessa SAKSIK le 23 février 2015 - Copyright Philippe Moulu - Remerciements Delphine Soyer, Laurence Barki de la Compagnie Tatoo et Daniel Mendy Directeur du Centre Oudiné (Paris 13éme).
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